1. Les signes évocateurs de l’anorexie mentale aux différents âges
Aussi importants et nombreux soient-ils, les signes d’alerte ne conduisent pas nécessairement au diagnostic d’anorexie mentale mais doivent inciter les proches voire le patient lui-même à consulter son médecin traitant voire un spécialiste afin d’écarter ou de confirmer cette présomption.
Dans le même ordre d’idée, les formes « incomplètes » (au sens où tous les signes nécessaires pour porter le diagnostic ne sont pas présents) n’évoluent pas obligatoirement vers des formes complètes ou syndromiques et peuvent tout à fait être résolutives, à fortiori avec des soins précoces et adaptés.
2. Qui est concerné ?
Bien que la très grande majorité des chiffres dont nous disposons actuellement sont issues d’études anglo-saxonnes, nous disposons néanmoins de données transposables à notre pays.
En tout état de cause, il s’agit de retenir qu’environ 1% des jeunes filles âgées de 16 à 25 ans seraient concernées par l’anorexie mentale. L’anorexie touche en effet toujours très majoritairement (90 à 95% des cas) le sexe féminin.
En outre, rappelons qu’il existe deux « pics » d’émergence de l’anorexie mentale, à 13-14 ans et à 17-18 ans, ce qui concorde avec les articulations entre enfance, adolescence et âge adulte. Enfin, 90% des tableaux d’anorexie mentale débutent après l’âge de 10 ans.
3. Quels symptômes pour quel diagnostic ?
Parmi tous les symptômes que l’on peut retrouver dans l’anorexie mentale, certains sont plus importants que d’autres pour pouvoir poser le diagnostic. On parle alors de critères diagnostique et de classification. Si tous les symptômes-clés (=critères) sont présents, on peut porter le diagnostic et on parle de forme syndromique, dans le cas contraire, on parle alors de formes sub-syndromiques (présence partielle de critères). Les deux grandes classifications internationales actuellement utilisées dans les services médicaux sont le DSM-IV-TR (classification nord-américaine) et la CIM-10 (classification de l’OMS).
Voir aussi : Synthèse des principaux symptômes cliniques de l’anorexie
Durant la petite enfance : De quoi s’agit-il ?
Le diagnostic d’anorexie du bébé et du jeune enfant survient au moment du passage à la cuillère, c’est-à-dire de l’alimentation autonome, qui se voit troublée par un conflits parents – enfants pendant le repas ; il requiert la présence des six critères suivants :
- le bébé ou le jeune enfant refuse de manger une quantité adéquate de nourriture pendant au moins un mois ;
- le début de ce refus survient avant l’âge de trois ans ;
- le bébé ou le jeune enfant ne communique pas son état de faim et manque d’intérêt pour la nourriture mais manifeste un intérêt marqué pour l’exploration, les interactions avec les personnes qui s’occupent de lui, ou pour les deux ;
- l’enfant présente un retard de croissance significatif ;
- le refus de la nourriture n’est pas consécutif à un événement traumatique ;
- le refus de la nourriture n’est pas lié à une maladie somatique.
Ce trouble est le second en fréquence au plan des troubles alimentaires chez le jeune enfant (0 – 3 ans). (Guedeney et Le Foll, EMC, 2014)
Durant l’enfance : anorexie pré-pubère (ou à début précoce)
Compte tenu de l’imprécision des deux grandes classifications utilisées chez l’adolescent et chez les adultes pour ce qui concerne les enfants, certains auteurs ont proposé de recourir à d’autres classifications pour pouvoir porter le diagnostic d’anorexie mentale. Nous pouvons citer deux classifications : la Great Ormond Street (GOS) et la classification de Chatoor (Le Heuzey et Acquaviva, EMC, 2006).
Pour la GOS, les catégories sont : l’anorexie mentale, la boulimie, la restriction alimentaire liée à un désordre émotionnel, le syndrome d’alimentation sélective, le syndrome de restriction alimentaire, la dysphagie fonctionnelle, le syndrome de refus global, la perte d’appétit liée à une dépression, le refus alimentaire oppositionnel.
La définition de l’anorexie mentale de l’enfant est :
- une perte de poids significative (par évitement alimentaire, vomissements, exercice excessif, abus de laxatifs) ;
- préoccupations excessives concernant le poids ou les formes ;
- et un ou plusieurs de signes suivants : peur d’avaler et/ou de vomir ; douleurs abdominales pendant le repas ou en dehors ; restrictions des apports hydriques ; intérêt pour les calories.
La classification de Chatoor distingue trois groupes en fonction de l’âge :
- les troubles apparaissant dans la petite enfance et qui peuvent perdurer durant l’enfance (anorexie infantile, néophobies alimentaires, petits mangeurs) ;
- les troubles commençant durant l’enfance elle-même (anorexie mentale et boulimie) ;
- les troubles alimentaires post-traumatiques qui peuvent survenir à tout âge.
Dans les deux cas, ces critères ne rendent bien sûr pas compte de la grande variété des symptômes rencontrés tant chez le garçon que chez la fille. Dans les deux cas, il convient de s’appuyer sur le carnet de santé et de relativiser, à ces âges-là, la valeur de l’IMC (Indice de Masse Corporel).
A l’adolescence et à l’âge adulte, les critères utilisés sont les mêmes et il convient de distinguer alors 5 formes diagnostiques d’anorexie telles qu’elles sont récapitulées ici.
- L’anorexie mentale de type restrictif : Très schématiquement, il s’agit de la forme la plus « emblématique » de cette maladie et implique que le ou la patiente opère notamment une restriction alimentaire drastique, à la fois au plan des quantités que de la qualité des aliments. Cela induit ainsi une forte dénutrition avec une apparence physique évocatrice. En outre, dans dans de nombreux cas, cette restriction s’accompagne d’une augmentation de l’activité physique. Il n’y a ni vomissements ni prise de laxatifs.
- L’anorexie mentale de type boulimique sans prise de purgatifs ni vomissements : Cette forme d’anorexie présente la particularité d’associer des crises de boulimie. Schématiquement, le sujet s’alimente très peu ou pas au moment des repas et va réaliser des crises de boulimie ce qui constitue alors l’essentiel des apports alimentaires. En tout état de cause, cet « équilibre » n’en est pas un car soit il permet de maintenir un poids qui de toute façon est inférieur à ce qu’il devrait être (critère d’anorexie) soit les apports (même boulimiques) sont inférieurs aux dépenses et la perte de poids se poursuit.
- L’anorexie mentale de type boulimique avec prise de purgatifs : A la différence de la forme précédente, l’éventuelle prise de poids induite par les crises de boulimie est ici atténuée voire annulée par la prise de laxatifs. A noter que la prise répétée et importante de laxatifs peut induire des troubles (cf. maladie des laxatifs, …) qui se surajoutent à ceux liés aux conséquences somatiques de l’anorexie. Il y a 11 classes différentes de laxatifs disponibles actuellement avec différents modes d’administration et différents mécanismes d’action.
- L’anorexie mentale de type boulimique avec vomissements : En lieu et place des laxatifs, cette forme voit s’associer aux crises de boulimie des vomissements. Au début, provoqués, ils peuvent devenir spontanés devant leur répétition. La place des vomissements est ici aussi d’atténuer voire d’annuler la prise de poids potentielle liée aux crises de boulimie voire celle liée aux repas. Le principal risque associé aux vomissements dès lors qu’ils se répètent est la baisse du taux de potassium dans le sang (hypokaliémie) avec un risque cardiaque important.
- L’anorexie mentale de type boulimique avec prise de purgatifs et vomissements : Cette forme condense les deux précédentes et le risque d’hypokaliémie peut alors être encore plus important compte tenu de l’action combinée des vomissements et des laxatifs sur ce point.
A noter que la catégorie « anorexie-boulimie » n’est utilisée qu’en France et qu’en regard des classifications, il s’agit d’une forme d’anorexie (les trois dernières formes ci-dessus). Le terme laissant à penser qu’une troisième catégorie, à mi-chemin de l’anorexie et de la boulimie existerait.
4. Quelles sont les conséquences pour le corps de l’anorexie mentale ?
Les conséquences sont multiples et dépendent de la nature des symptômes (amaigrissement, vomissements, hyperactivité physique, mérycisme, potomanie,….) et de leur durée. La plupart des organes peuvent être concerné. Nombre de conséquences sont réversibles dès lors que les symptômes s’améliorent voir s’arrêtent.
Schématiquement, nous pouvons préciser il y a des conséquences à court, moyen et long terme.
Par ailleurs, toutes les conséquences ne sont pas équivalentes et certaines, les plus dangereuses, mettent en jeu le pronostic vital.
En tout état de cause, il appartient aux médecins qui est en charge de la personne souffrant d’anorexie mentale de procéder aux examens nécessaire afin d’apprécier l’intensité des symptômes et la gravité de leur retentissement et ainsi tout mettre en œuvre pour pallier à tout risque vital à fortiori à court terme. Pour cela, il peut alors être conduit a décidé une hospitalisation en urgence voire de préconiser une admission en service de soins intensif ou de réanimation médicale. Chez les mineurs, cette décision et avalisées par les parents ou les responsables légaux, chez les patients majeurs, à titre exceptionnel, cela peut nécessiter une mesure de privation temporaire de liberté quant à la décision d’hospitalisation. Cette mesure reste exceptionnel tant les soins engagés dans la prise en charge de l’anorexie mentale chez les adultes requièrent leur adhésion aux programmes de soins.
5. Évolutions
D’un côté, il y a schématiquement une répartition en trois tiers (favorable, intermédiaire, défavorable) et de l’autre, il est important de souligner que la mobilisation autour de la nature des soins à proposer et du moment de leur engagement constituent des paramètres susceptibles de faire évoluer ces tendances.
Pour ce qui concerne les évolutions dites défavorables, nous pouvons apporter les précisions suivantes :
à âge comparable, une jeune fille a encore quatre fois plus de risque de mourir des suites d’une anorexie mentale par rapport qu’une autre jeune fille non touchée par ce trouble.
La mortalité est de l’ordre de 5% en sachant qu’elle augmente à mesure que l’anorexie dure (20% après 20 ans d’évolution par exemple) et elle est pour moitié liée à des complications somatiques et pour moitié à un suicide.
Voir aussi : Les évolutions dans les TCA